Installée dans le sud de la France, la maison d’édition Decrescenzo Éditeurs est née en 2011 d’une passion pour la littérature coréenne et d’un désir de la partager.
Acteur majeur sur la scène de la littérature coréenne en France, la famille De Crescenzo ne cesse de promouvoir, depuis de nombreuses années, les auteurs et la culture de la Corée du Sud : Jean-Claude de Crescenzo et sa femme Kim Hye-Gyeong traduisent des livres coréens, organisent des rencontres littéraires, puis fondent en 2009, avec quelques amis et proches, le site keulmadang (littéralement la cour des lettres). Ce magazine en ligne, dont l’ambition est de faire connaître la littérature coréenne dans les pays francophones, présente les derniers ouvrages publiés ainsi que des dossiers consacrés aux auteurs coréens.
2 ans et demi plus tard, encouragés par le succès de cette web revue (15 numéros et 36 000 lecteurs par an), ils décident, avec Franck de Crescenzo, de fonder une maison d’édition entièrement dédiée à la littérature coréenne.
Interview avec Jean-Claude de Crescenzo, directeur littéraire chez Decrescenzo Éditeurs
Cahier de Seoul : Pouvez-vous présenter votre maison d’édition.
Decrescenzo Éditeurs est une maison d’édition consacrée à la seule littérature coréenne. Elle s’est fixée comme projet d’éditer autant la littérature contemporaine (fiction) que des ouvrages de sciences sociales et humaines, de la poésie, etc. Nous accordons la priorité à la fiction contemporaine mais elle n’est pas exclusive.
Notre comité éditorial regroupe des auteurs, des professeurs de littérature coréenne et des critiques littéraires français et coréens qui nous garantissent la qualité des livres que nous éditons. Pour l’équipe opérationnelle, 5 personnes y travaillent par intermittence et 3 personnes en permanence.
D’où vient votre passion pour la littérature coréenne ?
La passion littéraire n’est qu’une suite de voyages continus. Nous franchissons les littératures comme nous franchissons les frontières. Nous lisons sans tenir compte de l’origine culturelle d’un livre. Puis, un jour, sous la forme d’un roman de Yi Mun-yol ou de Yi Chong-jun, nous franchissons la frontière d’une littérature inconnue, et nous y revenons, nous y séjournons et nous découvrons qu’entre ce pays/littérature et notre propre vie, l’espace se rétrécit, de jour en jour, de livre en livre.
Comment est née l’envie de créer votre propre maison d’édition ?
Un jour, nous traduisons un livre, puis deux, puis trois, et puis nous écrivons sur un livre et puis deux et puis trois, et nous éditons une revue de littérature du joli nom de Keulmadang, parce que, quand on est professeur, la passion de transmettre est au cœur de notre vie. Et puis, traduire, écrire se révèlent vite insuffisants pour transmettre, il faut alors éditer et poursuivre notre chimère…
La maison d’édition, vieux rêve depuis près de 30 ans, s’est imposée dès lors que notre premier souhait de créer une collection n’a pu se réaliser, les éditeurs sollicités n’ayant finalement pas souhaité s’engager. Puis, nous voulions une collection de livres papier, même si nous allons passer bientôt au livre numérique. Et nous nous sommes dit que nous ne serions jamais aussi bien servis que par nous-mêmes… Une maison d’édition entièrement consacrée à la littérature coréenne complétait parfaitement notre projet.
Comment décririez-vous la littérature coréenne actuelle ?
La littérature coréenne contemporaine est en train de vivre le même tournant que la société coréenne. Pourrait-il d’ailleurs en être autrement ? Fortement adossée à l’histoire douloureuse du pays, elle cherche aujourd’hui de nouvelles formes d’inspiration, qu’elle puise à la source des grands problèmes de ce monde. La mondialisation de la littérature coréenne ne vient pas seulement du nombre d’ouvrages traduits ou publiés mais aussi et surtout de la similitude avec d’autres littératures dans les thèmes qu’elle aborde, notamment chez les jeunes auteurs ; bien entendu, il reste des caractéristiques fortes et incomparables, des sujets de romans qui ne peuvent être que coréens…
Comment vous situez-vous par rapport aux autres maisons d’éditions qui publient des romans coréens ?
Il y a en France de très bonnes maisons d’éditions qui publient de très bons textes et au rang desquelles Actes Sud est pionnière. Zulma et Picquier sont les plus réguliers à publier de la littérature coréenne. C’est une littérature qui reste encore à découvrir malgré tous les efforts fournis jusqu’à ce jour.
Tout et rien ne nous distinguent des autres maisons d’édition, est-on tenté de dire. Peut-être, le fait que nous n’éditions que de la littérature coréenne, contrairement aux autres généralistes ? Ou encore notre souhait et notre travail visant à faire connaître la littérature coréenne et pas seulement à acheter nos livres ? Mais, nous n’avons pas tout à fait un an d’existence et le moment n’est pas encore venu de nous situer par rapport aux uns ou aux autres.
Les auteurs que vous avez publiés (Kim Ae-ran, Kim Jung-Hyuk et Yi In-Seong) sont reconnus dans le monde littéraire coréen. Sur quels critères les choisissez-vous ?
Le choix des auteurs que nous faisons n’est pas guidé par ce qu’ils sont ou ce qu’ils aiment mais par la capacité de leurs textes à nous faire découvrir un pan de la littérature et au-delà, de la culture coréenne. Au fil du temps, beaucoup d’auteurs, jeunes ou plus confirmés, sont devenus des amis avec lesquels nous avons plaisir à être ensemble. Ils connaissent le travail que nous faisons depuis toutes ces années à Aix-en-Provence et cela a facilité notre souhait de travailler en commun. Ma préférence va bien entendu à des textes dans lesquels je ressens la Corée, le peuple coréen, une écriture coréenne, bien que cette dernière affirmation devrait être commentée. Nous publions prioritairement les jeunes, parce qu’ils étaient absents du panorama français.
Kim Ae-ran par exemple, est très connue en Corée, mais hormis deux nouvelles dans deux recueils, aucun livre n’était publié. Nous venons de publier un volume de ses nouvelles et nous allons en publier deux autres prochainement. Mais à côté des jeunes auteurs, nous allons aussi sortir prochainement deux recueils de Eun Hee-kyung, auteure bien connue en France et Yi Tae-jun, auteur passé en Corée du Nord après les années 50, après avoir publié Yi In-seong, que nous considérons comme un véritable chef de file des nouvelles esthétiques littéraires.
Pouvez-vous décrire les différentes étapes de publication d’un roman.
Dès qu’un auteur vous donne son accord pour être publié, il faut recevoir aussi l’accord de sa maison d’édition coréenne puis signer un contrat d’édition, choisir un traducteur, à moins que le livre soit déjà traduit avec l’aide des fondations littéraires coréennes, puis imaginer une couverture, mettre en page le livre, l’imprimer, en discuter avec les commerciaux de notre diffuseur et veiller enfin à ce que le petit dernier fasse son chemin…
Quels sont les projets à venir ?
L’actualité est tout occupée à asseoir les fondations de la maison d’édition et à nous faire un nom. C’est un travail long, dans un secteur très difficile. Nous voulons nous occuper des livres et des auteurs, tout en nous piquant de littérature et pas seulement de commerce. Cela fait beaucoup. Nous allons publier prochainement la plupart des jeunes auteurs coréens, avec aussi quelques surprises que nous réservons à notre public. Nous ne nous interdisons rien mais pour l’instant, la littérature coréenne ou bien les livres sur la Corée nous occupent entièrement. Bien sûr, nous publierons bien volontiers un texte français sur la Corée.
Quel regard portez-vous sur l’engouement porté sur la Corée en ce moment en France ?
Tous les enseignants de langue et de civilisation ont vu défiler dans leur carrière des engouements culturels divers. Ce fut le Japon, puis la Chine. Aujourd’hui, la Corée. La K-pop ou les dramas ne font pas le compte à eux seuls. Il y a de la part de la Corée une volonté installée maintenant depuis une bonne vingtaine d’années de se faire connaître du monde entier et donc de consacrer des moyens importants à cette mission. Rappelons qu’après l’occupation japonaise, l’ouverture au monde de la Corée était considérée comme un moyen de son indépendance.
La Corée séduit par un cocktail d’ingrédients savamment dosés et par une image voulue, savamment maîtrisée. Il y a certainement un génie coréen à l’empathie, à la séduction, un côté « pays émergent » résultat d’un confucianisme étroit et d’une hardiesse débridée. Mais il y a aussi une culture traditionnelle, une philosophie de l’existence, une volonté certes disparue, du moins distendue, de vivre en harmonie avec les éléments aussi bien divins que terrestres. Il n’est pas bien sûr que l’on aime la Corée pour ce qu’elle a été et que les fondamentaux de la culture coréenne soient connus par ceux qui sont séduits aujourd’hui. Mais bon, rien n’est perdu. Tant qu’il restera des poètes…
Votre endroit préféré en Corée ?
Le Jeolla-do. Région délaissée de tout temps, voire honnie. Région d’accueil des bannis autrefois et de la contestation. À laquelle souvent on ne fait référence que pour la qualité de sa cuisine, ou pour se souvenir, une larme à l’œil du massacre de Kwangju. Région oubliée mais aussi région révoltée. J’ai un faible pour tous ceux qui ne tiennent pas le bon bout du manche. Mais, c’est aussi la région du pansori, de la riziculture, de l’élevage au bord de mer, du relief côtier si découpé, des grands écrivains, du soleil, de cet accent inimitable. Le Jeolla-do me rappelle ma Provence et je m’y rends à chacun de mes voyages, deux, trois fois par an.
Ouvrages parus :
Cours, papa cours !
de KIM Ae-ran,
La bibliothèque des instruments de musique
de Kim Jung-Hyuk
Sept méandres pour une île
de Yi In-seong