L’illustratrice Jinyoung Choi commence la série de dessin « Healthy drawing » en 2013, le jour de son anniversaire. Comme un cadeau qu’elle se fait à elle-même. À la fois pour se libérer la tête des pensées compliquées et aussi pour se faire plaisir, loin des tracas du monde professionnel. Des dessins simples, sans stress, rapidement gribouillés et rapidement publiés sur sa page Facebook mais dont l’esprit malin trouve rapidement écho auprès des lecteurs/followers. Poésie légère à la ligne claire, chaque croquis fonctionne comme un jeu de mots qui diffuse des ondes positives. Bon pour la santé.
Poungjeongak
Paysage à bicyclette
Caché, trouvé!
Nappe de confiture sur pain de mie.
Interview
CAHIER DE SEOUL : D’où viennent vos idées ?
Jinyoung CHOI : Je prends beaucoup de notes, tout le temps, lors de mes promenades. J’adore me promener. Je ne décide pas à l’avance des choses que je vais dessiner, mais j’écris tout ce qui m’inspire et attire mon attention. Je note toutes les idées qui me viennent en tête, puis je les illustre plus tard quand j’en ai envie. Par exemple, je peux noter « omelette enroulée » puis je dessine une personne qui cuisine une omelette, ou encore je note « le sommeil » et je dessine des moutons.
L’homme qui propose des pamplemousses
Où vous promenez-vous ?
À côté de la station Hoegi à Seoul. Le mot Hoe signifie ‘revenir’. Ça s’écrit 回 en caractère chinois. Un jour, un ami m’a dit qu’une fois que l’on s’installe dans ce quartier, on ne peut pas le quitter. J’habite dans ce quartier depuis que je suis étudiante. J’aime bien cet endroit. Je n’ai pas envie de partir. J’habite au pied des montagnes. C’est pratique pour se promener.
Depuis quand dessinez-vous ?
Je dessine depuis l’enfance. Au départ, j’ai fait des études d’administration. J’ai grandi en province dans une famille assez stricte. Mes parents et ma soeur sont fonctionnaires donc pour eux, mon avenir était déjà tout tracé. Je me suis même inscrite dans une académie privée pour me préparer aux concours de fonctionnaires.
Puis j’ai finalement fait une fugue pour aller à Séoul. J’ai laissé une lettre dans laquelle j’expliquais que si je devais devenir fonctionnaire, je voulais vivre au moins une fois à Séoul. J’ai coupé tout contact avec ma famille pendant assez longtemps. A séoul, j’ai habité dans un logement en sous-sol. J’ai fait des petits jobs à mi-temps puis j’ai commencé des études de design graphique.
Vos personnages ont des visages particuliers.
Avant j’avais beaucoup de mal à dessiner les visages. Je dessinais les contours des têtes mais ensuite je ne savais pas trop comment les remplir. Ça me préoccupait beaucoup, car en tant qu’étudiante en design, je devais bien savoir dessiner.
À 24 ans, j’ai travaillé dans un café. Un jour, le patron du café a été remplacé par une femme qui a modifié le menu. Dans le nouveau menu, il y avait un jus de tomate. Pour les illustrer, la patronne a dessiné sur le panneau plusieurs tomates souriantes avec seulement quelques traits. Quand j’ai vu ce dessin tout simple, ca m’a rendue heureuse. Je pense que les visages de mes dessins viennent de là. J’ai juste ajouté quelques traits en plus.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
J’aime bien les mangas, les contes de fées. Comme j’ai du mal à me concentrer longtemps, je lis plutôt des histoires courtes. Je dessine sur le coin des pages en lisant. Mes livres sont toujours remplis de gribouillages. Je ne regarde pas beaucoup la télévision mais au cinéma, je préfère les histoires complexes et ambiguës plutôt que morales. Je sors souvent toute seule. Quand je mange dans un restaurant, ou dans un café, je regarde les gens. J’aime bien écouter leurs conversations en faisant semblant de travailler. Des fois je note leurs conversations.
Comment a évolué votre style ?
Avant j’imitais le style des dessins que j’aimais. Je faisais des dessins très compliqués, sans vraiment de signification. Plutôt que de chercher à avoir un style, je me torturais. Mais ça me permettait aussi de me libérer de toutes les pensées compliquées présentes dans ma tête. Maintenant, j’ai compris que les dessins légers me correspondent mieux. Avec le temps, j’ai aussi trouvé le matériel qui me correspond bien. En ce moment je dessine beaucoup avec le crayon ‘MON AMI’ (une marque de papeterie coréenne très populaire). En fonction de la pression que j’exerce, l’épaisseur du trait varie. Du coup je peux facilement moduler les expressions des visages. Par exemple, je peux rendre un visage à la fois souriant et mélancolique.
À la place de réfléchir à la manière de faire un beau dessin, maintenant je dessine ce que je veux d’une manière spontanée et décomplexée. Et cela change aussi le style de dessin.
Vos dessins fonctionnent comme des jeux de mots.
Oui. Une même phrase peut avoir plusieurs sens. En ce moment je m’inspire beaucoup des proverbes. J’aime bien dessiner les proverbes en les interprétant d’une manière différente, ou bien dessiner des situations où le proverbe qui lui correspond ne fonctionne pas du tout.
Visage ombré
D’où vient votre humour ?
J’ai commencé à ressentir la sévérité de ma famille quand j’ai reçu mes premières notes à l’école. J’ai même essayé de les modifier en grattant avec cutter… J’ai grandi à la campagne. C’était ennuyant. J’étais libre mais un peu délaissée alors j’essayais toujours d’attirer l’attention sur moi. D’ailleurs quand je revois mes photos d’enfance, j’ai souvent un comportement exagéré. À 9 ans, on a déménagé en ville et j’ai senti que mon identité devenait floue. Pour m’adapter à cette nouvelle situation, j’ai commencé à cultiver mon humour. Plus tard, à l’université, un professeur a dit que l’humour est une manière de se défendre. Je suis tout à fait d’accord.
Comment avez-vous commencé le projet ‘Healthy Drawing » ?
J’ai créé cette page facebook le jour de mon anniversaire l’année dernière (2013). L’illustration est mon métier, mais j’avais envie de faire quelque chose de complètement différent et personnel. Terminer un dessin prend beaucoup de temps. Parfois un dessin ne me plait plus, je change d’avis, etc. Au lieu de laisser s’entasser mes griffonnages, j’avais besoin de les libérer. J’ai aussi commencé cette page pour me sentir bien (d’où le nom).
Parfois je reçois des messages de personnes qui me demandent de dessiner des sujets qu’ils aiment bien de manière coquine. Certaines personnes sont un peu déçues (surtout les filles) car elles imaginaient que j’étais un homme.
Quelles difficultés rencontrez-vous en tant qu’illustratrice ?
Je dessine parce que j’aime dessiner. Mais dessiner pour le travail est très différent. Je stresse beaucoup avant d’envoyer le dessin final au client. La série « Healthy drawing » est bien pour moi car elle me permet de dessiner librement. Ces dessins m’apportent une énergie positive. Les prendre en photo puis les poster tout de suite sur la page, permet de transmettre cette énergie.
Quels sont vos futurs projets ?
J’ai toujours voulu faire des petits livres mais je n’ai jamais encore osé franchir le pas. En ce moment, j’aime bien le rythme des mots d’une seule syllabe comme 꿀(miel), 풀(herbe), 물(eau), 불(feu), 술(alcool), 팔(huit), 밤(nuit), 눈(yeux), 벌(abeille), 양(mouton), 빵(pain)… Il y en a beaucoup. J’aime bien l’équilibre entre leur simplicité sonore et leur rythme. Je pense faire un livre de vocabulaire pour les enfants et les adultes. J’aimerais aussi faire des flip-book qui s’animent quand on tourne les pages rapidement, ou bien un manga pour adulte d’un format réduit que l’on peut ranger dans sa poche. Je voudrais en tout cas faire des livres. Dans dix ou cent ans, un livre que les gens voudraient collectionner.
Quelle est votre impression sur Séoul?
Seoul me fait penser à un Marché. J’aime beaucoup les marchés. Ce sont des lieux familiers mais dans lesquels on découvre de nouvelles choses à chaque fois. Quand je vais au marché, je me sens à l’aise et comfortable, mais en meme temps, j’ai le vertige…. Séoul est comme ça pour moi.
Reportons à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui