Né en 1936 dans la petite ville de Haman-gun, dans la province montagneuse de Gyeongsangnam-do en Corée du Sud, Lee Ufan (이우환) est l’un des artistes coréens contemporains les plus influents sur la scène internationale. Depuis les années 1970, il partage sa vie entre la France, le Japon et les Etats-Unis.
Si formellement, son œuvre protéiforme (installation, sculpture, peinture) a des résonances asiatiques, elle répond en revanche à des préoccupations universelles.
Les débuts
Alors que la Corée est sous domination japonaise, Lee Ufan reçoit pendant son enfance et adolescence une éducation confucéenne stricte. Trés tôt attiré par la poésie et la littérature, Lee Ufan étudie la peinture orientale à Séoul puis part s’installer chez son oncle au Japon en 1957. A Tokyo, il s’inscrit en 1958 à l’université Nihon où il suit des cours de philosophie occidentale. Il étudie notamment Nietzsche, Heidegger et Merleau-Ponty dont les écrits sur la phénoménologie et la perception vont enrichir sa réflexion et son langage artistique. En 1968, il participe, en tant que théoricien, à la création du mouvement japonais Mono-Ha (littéralement « l’école des choses ») qui fait le pont entre philosophie et art. Ce mouvement qui se revendique anticonsumériste regroupe des artistes dont la spécificité est de faire dialoguer des objets naturels avec des objets manufacturés. Leur but est de réduire au minimum l’intervention de l’artiste afin de mettre l’accent sur les relations entre les matériaux, l’espace et le spectateur.
« Montrer le monde tel qu’il est, sans en faire l’objet d’un acte de représentation qui l’oppose à l’homme « .
Lee Ufan écrit à propos de la démarche de Mono-han : « Le plus haut niveau d’expression n’est pas de créer quelque chose à partir de rien, mais plutôt d’utiliser quelque chose qui existe déjà, afin de révéler le monde plus vivement »
L’arrivée du Mono-Ha au Japon coïncide avec l’apparition d’autres mouvements artistiques dans le reste du monde tel que l’Arte Povera et le Land Art qui questionnent les fondements de la sculpture.
A contre-courant de la tendance actuelle qui revendique l’indépendance de l’art et met en avant l’artiste, les créations de Lee Ufan naissent du dialogue entre l’artiste et le lieu ou prendra place ses œuvres. Il veut être en relation avec la part du monde la plus vaste possible, par le biais d’une intervention aussi minime qu’intense. La sobriété de son travail est liée à sa volonté de trouver l’origine de l’œuvre dans un lieu situé au-delà de lui-même. Pour l’artiste coréen, il est nécessaire que l’œuvre soit utile là ou elle sera.
La sculpture
Dans son travail de sculpture Lee Ufan, met en relation des éléments antagonistes. Il confronte des matériaux naturels (bois, pierres, coton) avec des matériaux industriels (métal, verre, miroirs) et joue avec les notions de vide, d’espace et d’énergie. A travers (l’équilibre de) leur contraste, les éléments révèlent leur forme, leur masse, leur rapport avec l’espace environnant.
Il a exposé dans de nombreux endroits prestigieux dont notamment le musée Guggenheim de New York, la Tate Modern de Londres, la Kunstmuseum de Bonn en Allemagne et le Musée d’Art de Yokohama, au Japon. Il investira, au printemps 2014, le château de Versailles en France.
» Quand une lourde pierre heurte une vitre, la vitre se brise. C’est une évidence. Dans une œuvre d’art, il ne faut pas que l’intervention de l’artiste soit trop effacée, sinon le résultat sera perçu comme un incident involontaire. En revanche, si le résultat est trop conforme à l’intention de l’artiste, l’œuvre sera dénué d’intérêt. Il en est de même si le geste de l’artiste est trop aléatoire. Quelque chose doit naître de la relation sensible entre l’artiste, le verre, la pierre. C’est uniquement quand la fissure résulte de l’adéquation de ces 3 éléments que le verre brisé devient un objet d’art. «
Ce qui l’intéresse, c’est d’explorer la relation topologique entre un lieu et un objet.
« Une plaque de fer est un objet standardisé réalisé à partir du minerai de fer naturel. La pierre et le fer viennent tous les deux de la Nature, à la différence près que la première correspond à la nature sauvage et le second à la nature apprivoisée. Une plaque de fer placée entre des pierres fonctionne comme un pont. Par sa neutralité, elle ouvre le passage vers la Nature. L’oeuvre devient un lieu de médiation entre l’intérieur et l’extérieur. »(*)
La peinture
S’il privilégie l’immobilité dans ses sculptures, Lee Ufan choisit en revanche, dans ses peintures de laisser apparaître le geste.
Son travail pictural consiste en la trace, l’empreinte d’un mouvement (bleu se diluant) sur l’espace blanc d’une grande toile. Ses coups de pinceau, réduits au point et à la ligne, tendent vers la répétition d’un signe unique. Lee Ufan cherche à rendre chaque touche plus précise, plus ferme, plus juste et c’est cette différence entre les touches qui crée la variation.
« Le geste de peindre naît dans la correspondance entre la toile et lui, et ce geste ne m’appartient pas entièrement puisqu’il est aussi le fait de la toile. Il est double, ambivalent, au sens où Merleau-Ponty parle de l’«ambivalence» de l’action. Et c’est par là que la toile gagne l’absolu et la vie, au-delà de la logique et de l’écriture de signes. »