Kim Myung-Joo utilise la terre et l’argile comme un peintre utilise ses pinceaux. Sculptant directement ses émotions, elle façonne un univers onirique et sombre peuplé de présence énigmatique, créatures hybrides aux formes végétales et organiques, laissant libre cours à l’interprétation du spectateur. Il y’a dans ses corps déformés aux viscères et visages dégoulinants, une poésie noire proche de la mélancolie. Comme des projections mentales de ses visions intérieures, ses sculptures flottent entre imagerie fantastique et mythe, puisant leur forme et leur histoire dans le monde qui l’entoure, les souvenirs d’enfance, les contes. Kim Myung-Joo modèle la terre pour mettre en scène son inconscient, pour extérioriser de manière immédiate ses sentiments et ses sensations intérieures. L’ombre et la lumière.
Née à Daejeon en Corée du Sud, Myung-Joo Kim vit et travaille à Paris et à Bruxelles. Elle a étudié la céramique au département des Beaux-Arts de l’Université Hongik à Séoul.
Interview
Pouvez-vous nous présenter votre travail ?
Dans mon travail, je ne cherche pas à créer une forme belle mais plutôt à exprimer mes émotions à travers le langage plastique. Je crois aux émotions. Si j’arrive à représenter quelque chose de vrai, je pense que je peux toucher les gens. J’aime bien les sensations étranges et mélancoliques.Il y a quelques années (2008-2011) j’ai fait une série qui s’appelle ‘Les Arbres étrangers’ dans laquelle je mélangeais personnages et végétaux. Actuellement le sujet de mon travail est le ‘Paysage intérieur’.
On dit que mon travail a beaucoup évolué. J’ai changé de terre et la température de cuisson, ce qui a modifié la texture et la couleur de mes céramiques. Le forme de mes sculptures est devenue plus libre depuis que j’ai abandonné la représentation de l’arbre. Je laisse mes doigts créer les formes librement. C’est un travail inconscient.
L’installation « Face à l’immortalité » de la série « Paysage intérieur » représente deux personnages, l’un à genoux et l’autre allongé au sol. La tristesse et la condoléance. Un est vivant et regarde l’autre qui est mort. Pourtant, entre les deux, il n’y a pas de différence. C’est sans fin. Il est mort mais finalement toujours vivant. C’est une sorte d’éternité. Dans cette installation, j’ai recouvert le corps des personnages d’une peau composée d’une multitude de petites têtes.
Avant de réaliser cette pièce, je dessinais beaucoup de personnages agenouillées. Je trouve cette position belle en tant que telle. C’est une attitude religieuse, comme une offrande de soi-même.
Quand je travaille, j’ai besoin d’un grand espace. Faire des céramiques nécessite un grand four. Je dois cuire plusieurs fois avant de trouver la teinte que je souhaite. C’est pour ça que le four est important. Le séchage prend beaucoup de temps, c’est également une étape importante. Il faut prendre du temps pour chaque étape.
Travailler en Europe a-t-il influencé votre travail ?
Oui. Après mes études de céramique à l’Université Hongik à Séoul, j’ai travaillé en Corée en tant que graphiste pendant plusieurs années. De retour à l’étranger, en revanche, j’ai pu me concentrer sur mon intériorité et recommencer à travailler la terre. C’est comme si en Corée, la société ne me laissait pas réfléchir en moi-même. Mais c’est sans doute parce que à cette époque, j’étais jeune et quand je suis partie à l’étranger, j’étais dans une période de transition dans ma vie.
Quel est l’aspect le plus important dans votre travail ?
Je ne veux pas représenter une simple image. Je ne crois pas en l’image. C’est une sorte d’illusion. En même temps, une image peut être libre. Je représente une figure mais je veux une liberté dans cette figure. C’est difficile à définir mais en créant une forme, je veux que le résultat fasse oublier cette forme.
Quels sont vos projets ?
Cet automne, je vais à ClayArche Museum à Gimhae en Corée du Sud. Pour moi c’est la première fois que je retourne dans mon pays en tant qu’artiste, ça représente beaucoup de chose pour moi.
Que regard portez-vous sur Séoul ?
Quand on vit dans une ville, on s’attache à cette ville. J’ai vécu à Séoul, j’y ai travaillé. Mais maintenant, ma vie n’est plus là-bas. Alors c’est difficile d’en parler. De l’extérieur, Séoul a l’air bruyant et occupé. Il ne me reste que ces souvenirs.
« On oublie. Il a perdu son visage, mais il a oublié même le fait qu’il l’a perdu. Alors il semble serein.»