Aussi bien utilisé par la noblesse que par la classe populaire coréenne, le Pojagi a joué un rôle important dans la vie quotidienne des Coréens durant la période Choson (1392-1910). Assemblés à partir de morceaux de soie ou de chutes de tissus en coton et ramie, ces carrés d’étoffe aux couleurs vives et lumineuses servaient à couvrir à peu près tout : de la literie à la table, en passant par la nourriture et les objets.
Au-delà de leurs simples fonctions utilitaires et décoratives, les Pojagi avaient également des usages religieux et symboliques : les femmes qui fabriquaient les pojagi infusaient leurs espoirs et leurs rêves dans le tissu qu’elles cousaient. Dans la société confucéenne stricte de la dynastie Choson, le rôle des femmes était en effet confiné aux taches ménagères à l’intérieur de la maison et la fabrication du Pojagi constituait donc pour elles un moyen d’exprimer leur créativité refoulée et leurs désirs les plus profonds pour leurs proches. Comme beaucoup d’art du textile, le Pojagi porte également en lui un savoir-faire ancestral accumulé au fil des siècles.
Profondément ancré dans la culture coréenne, le Pojagi est aujourd’hui délaissé, utilisé uniquement lors de rares occasions comme les mariages, les naissances, etc.
Always for you, good things to stay
Dans une volonté de pérenniser et de promouvoir la beauté et la richesse du patrimoine coréen en train de s’éteindre, la chef cuisinière Yang Jung-Eun a fondé en 2011 l’atelier HohoDang. Elle fabrique des objets coréens traditionnels réadaptés au mode de vie contemporain et donne des cours de cuisine « royale », dont les plats, souvent destinés à être offerts, sont enveloppés dans des Pojagis. Elle collabore également avec des sociétés, confectionnant pour leurs produits, des emballages traditionnels.
Yang Jung-Eun est issue d’une famille d’artisans qui lui ont transmis leur passion. Son père, fabricant de Hanbok, lui a donné l’amour du tissu tandis que sa grand-mère, cuisinière, l’a initié à la gastronomie coréenne.
Votre marque s’appelle Hohodang. Comment avez-vous choisi ce nom ? (Hoho est une onomatopée qui imite le rire)
Hohodang (littéralement « le lieu ho ho ») est le nom que ma mère a donné à la maison où j’ai emménagé avec mon mari. Elle avait déjà trouvé le nom de mon ancien restaurant Jeongmiso (정미소 – ‘le lieu où l’on cuit du riz avec de l’eau pure’). (En Corée on donne traditionnellement un nom aux lieux) J’ai repris le nom Hohodang pour nommer mon atelier. Les plats que je vends sont enveloppés dans un pojagi, car ils sont destinés à être offerts en cadeaux. Le nom Hohodang (qui sonne comme un voeu joyeux) correspond donc bien à ce que nous faisons.
Comment est née votre passion pour le Pojagi ?
J’ai étudié la cuisine et plus particulièrement la tradition culinaire coréenne. Offrir un plat préparé est très courant dans la culture coréenne. ‘Ibaji’ (이바지) désigne les plats que l’on offre à l’occasion de fêtes importantes, comme un anniversaire ou un mariage. ‘Pyébec‘(폐백) est le plat que l’on donne à ses futurs beaux-parents lors de la première rencontre. À chaque fois, ces plats sont emballés dans un Pojagi différent. Le pojagi que j’ai utilisé pour mon mariage était un Pojagi Bongyeon. Fabriqué uniquement en fils de soie, il a été cousu à la main par ma grand-mère pour le mariage de ma mère. Par la suite, j’en ai hérité et je l’ai réutilisé.
Plus tard, quand j’ai commencé à faire ce travail, j’ai eu beaucoup de mal à trouver différents styles de Pojagi. C’est pour ça que j’ai décidé de les fabriquer moi-même.
Votre avez grandi dans une famille d’artisan. Votre grande mère était cuisinière tandis que votre père fabriquait des Hanboks.
Mes grands-parents avaient un atelier de Hanbok. Ils fabriquaient des vêtements traditionnels de différentes époques et également des armures qui étaient souvent utilisées pour les opéras ou les représentations de théâtre. J’ai grandi entourée de hanboks que je portais souvent pour sortir. Il y’en avait différents selon les saisons et les occasions. Sur ma photo de classe, à l’école maternelle, je suis la seule à porter un Dangeui (une sorte de Jeogori, le haut de Hanbok). C’est un souvenir agréable.
Quand j’étais petite, voir ma grand-mère cuisiner des plats royaux me paraissait compliqué et laborieux. Mais quand j’ai commencé à en préparer moi-même, ça m’a beaucoup plu. Préparer soigneusement les ddoeks (gâteaux de riz), les laisser gonfler dans l’eau, enlever la peau, les cuire à la vapeur, attendre – ça prend une ou deux journées – et enfin déguster un vrai Ddeok et Yookpo. C’était pour moi une expérience nouvelle. Tous ces souvenirs font parti intégrante de Hohodang.
Le Pojagi s’est transformé au fil des époques. Change-t-il également selon les usages ?
Avant, le Pojagi était intégré dans la vie quotidienne. Il en existait une grande variété. On l’utilisait pour transporter des choses lors de voyage, pour emballer de la nourriture et pour ranger des affaires dans la maison. Aujourd’hui, le Pojagi est uniquement utilisé lors de cérémonies importantes ou d’occasions précises.
La mode d’emballage et le tissu changent selon l’usage. Par exemple pour le mariage, on utilise de la soie de couleur bleu et rouge. Le nœud n’est pas serré très fort afin de pouvoir le défaire facilement (pour symboliser le bon déroulement de la vie après le mariage). Le prix du tissu n’a pas vraiment d’importance, car sa valeur réside dans sa fabrication et la relation entre celui qui offre et celui qui reçoit.
Avez-vous une technique d’emballage préférée ?
Pour le logo de Hohodang, j’ai repris le dessin d’une technique de Bojagi traditionnelle qui me plaît et dont la particularité est de ne pas avoir besoin de nœud. Sa forme ressemble la lettre Joeng 井 qui signifie le puits. Mon ancien restaurant Joeng-mi-so, s’écrivait avec cette lettre. J’aime le fait que sa forme évoque de l’eau qui jaillit d’un puits. Je l’appelle Nœud de fleur de Hohodang.
Maintenant je développe différentes techniques d’emballage pour des marques et des sociétés. Ce que je recherche, c’est l’harmonie entre le Bojagi et le produit qu’il contient. Je me rappelle particulièrement de l’emballage que j’ai créé pour la marque de cosmétiques Sulhwasoo. J’ai travaillé pour leur flagshop situé à côté du parc Dosan. Pour chaque produit, on a utilisé un style de Pojagi différent. Je pense qu’ils sont devenus connus internationalement, car avant tout, ils respectent et cherchent à comprendre la tradition coréenne.
À Hohodang, les plats que vous cuisinez sont destinés à être offerts.
Ce sont des plats que l’on offre à quelqu’un pour une occasion particulière. Par exemple on peut l’offrir à une amie qui est enceinte, à un collègue qui a reçu une opération importante ou bien à un ami qui vient d’emménager. Le plat est fait sur mesure pour une personne précise. On le prépare donc en pensant à cette personne. L’intérêt de ce cadeau réside avant tout dans l’attention qu’on lui apporte et le temps qu’on met à le faire. Quand on amène un plat emballé dans un Pojagi, ça signifie également ‘j’espère que tu vas bien et que tu manges à ta faim ?’.
Dagwa (le thé et le dessert) est un bon cadeau à offrir lors de la première rencontre avec les parents du futur mari. On remplit le Gujeolpan (une assiette traditionnelle divisée en neuf parties) avec les différentes sortes de desserts coréens ainsi que des fruits séchés. C’est aussi l’occasion de montrer à ses beaux parents que l’on cuisine bien. Les cours de cuisine que je donne se terminent toujours par un cours de Pojagi.
Quels sont vos projets ?
Quand j’ai commencé Hohodang, mon souhait était de mettre en avant la beauté de la culture coréenne. En travaillant pour des sociétés coréennes qui s’exportent à l’internationale, j’espère promouvoir cette richesse aux pays étrangers. Prendre du temps pour préparer avec soin un petit cadeau fait partie de la tradition et de la politesse coréenne. Je voudrais donc continuer à promouvoir le Pojagi à l’étranger même pour emballer des produits autres que coréens. Le Pojagi est un emballage écologique, car on ne le jette pas, on peut même le transmettre aux générations futures. Ça pourrait faire partie d’une belle histoire.
Quel regard portez-vous sur Séoul ?
Séoul est une ville qui a une multitude de visages. La rivière Han, Gangbuk (nord de Séoul), Gangnam (sud de Séoul). Selon son humeur, on pouvez passer une journée différente. J’aime bien le transport à Séoul. Le métro et le bus nous amènent dans ces différents paysages. J’aimerai proposer un voyage à travers Séoul en bus. J’aime bien prendre n’importe quel bus et descendre au hasard, comme l’eau qui coule librement. Je le faisais souvent quand j’étais étudiante, je traversais les quartiers qui ont chacun leur charme… C’est une ville très charmante.
Mon quartier préféré est Cheongun-dong, où j’ai installé Hohodang. Je suis venue ici par hasard, mais ce quartier dégage une atmosphère traditionnelle tandis que le boulevard apporte une certaine modernité. Les maisons voisines ne sont pas traditionnelles, mais sont anciennes. Elles dégagent une sorte d’élégance. Dans ce quartier, je vous invite à aller voir la bibliothèque de littérature, l’établissement du grand poète Yun Dong-ju, le marché Tongin et la vallée Sooung-dong.
http://www.hohodang.co.kr/