La question de l’identité est au centre de l’œuvre de l’artiste Nikki S. Lee qui explore la relation entre l’identité personnelle et l’environnement socio-culturel. Elle explique que ce questionnement est né du fait qu’elle se sentait « différente suivant qu’elle se trouvait à Séoul ou à New York, en famille ou avec des amis ».
L’Art de la métamorphose
Nikki S. Lee s’est fait connaître sur la scène internationale avec la série « Projects » (1997-2001) dans laquelle elle se représente dans des photographies instantanées posant avec différents groupes sociaux-culturels tels que des punks, des groupes de hip-hop, des latinos, des skaters, des lesbiennes, des Yuppies, des lycéennes coréennes, etc. En changeant simplement sa manière de s’habiller, de se maquiller et de se comporter, elle s’immerge dans chacune des sous-cultures américaines et se crée une nouvelle identité qui est finalement le prolongement d’elle-même. Ses performances de l’identité lui permettent de se réinventer en adoptant les stéréotypes et les codes qui collent à une communauté donnée. En se plaçant dans ses images, elle devient son propre objet documentaire. Sa vie devient son moyen d’expression.
Pour renforcer l’impression d’instantanéité (et donc supprimer toute idée de composition) les images de la série « Projects » sont à chaque fois prises avec un simple appareil photo compact par un membre de sa nouvelle communauté, un ami ou un passant.
Ces séries photographiques ont captivé le monde de l’art en mettant en lumière les questions d’identité et d’appartenance. Ses images posent des questions sur la nature de l’identité personnelle et culturelle, ainsi que sur la façon dont les perceptions peuvent être influencées par des stéréotypes. L’art de Nikki S. Lee se situe au carrefour de l’art conceptuel, de la performance, et de la photographie documentaire.
L’Influence de la culture pop
L’art de Nikki S. Lee reflète une profonde fascination pour la culture populaire et son impact sur la construction de l’identité. Elle puise dans les univers de la mode, de la musique, du cinéma, et de la société en général pour créer des portraits saisissants qui révèlent la malléabilité de l’identité humaine.
Ses œuvres abordent également des questions plus larges liées à la mondialisation et à la diversité culturelle. En se déplaçant dans différentes communautés et en adoptant leurs codes vestimentaires, elle explore la façon dont la culture est à la fois une source d’unité et de division, et comment elle peut être à la fois un moyen de s’exprimer et un moyen de se conformer.
Reconnaissance internationale
Nikki S. Lee a exposé son travail dans des galeries et des musées du monde entier, y compris au Whitney Museum of American Art à New York et au Centre Pompidou à Paris. Ses œuvres ont également été incluses dans des expositions itinérantes et des publications artistiques de renommée internationale. Sa capacité à capturer la complexité des identités contemporaines et à remettre en question les préjugés a été saluée par la critique artistique et a inspiré de nombreux artistes contemporains.
Nikki S. Lee est une artiste coréenne visionnaire dont l’œuvre explore les thèmes de l’identité, de la culture et de la transformation d’une manière unique et captivante. À travers sa pratique artistique, elle remet en question les frontières culturelles, les stéréotypes et les perceptions de soi et des autres. Son travail continue d’influencer et d’inspirer les générations d’artistes à venir, tout en nous invitant à réfléchir sur la complexité de l’identité humaine dans un monde de plus en plus connecté et diversifié.
Née en 1970, Nikki Seung-hee Lee est une artiste photographe et vidéaste coréenne qui vit et travaille à Seoul
Après avoir obtenu un Diplôme d’art à la Chung-Ang University en Corée du Sud en 1993, elle s’installe à New York en 1994 pour suivre des cours de mode et de photographie. En parallèle, elle travaille comme assistante pour le photographe David LaChappelle. Elle obtient sa maîtrise en photographie à l’Université de New York en 1998. En 1999, Nikki Lee quitte le domaine de la photographie commerciale afin de poursuivre son œuvre artistique.
The Hispanic Project
The Hip Hop Project
The exotic dancer ptoject
Interview
La forme finale de votre travail est photographique, pourtant, vous ne vous considérez pas photographe.
Nikki Lee : Je voulais étudier le cinéma mais ma famille ne voulait pas, alors la photographie a été une sorte de compromis entre moi et mes parents. En fait, étudier la photographie ne m’intéressait pas du tout. Simplement, j’espérais pouvoir suivre les cours de cinéma qui était dans la même école. Aujourd’hui encore, je ne m’intéresse pas à la technique photographique.
J’aime la photo en tant que médium, mais pas l’action de ‘photographier’. Cadrer quelque chose pour composer une belle image ne m’intéresse pas. J’aime beaucoup la photo en tant que témoignage et outil de captation. Il y a quelque temps, je suis allée dans un columbarium où sont conservées les urnes cinéraires. Il y avait des photos des personnes décédées. Cela m’a touché plus qu’une exposition dans une galerie d’art. C’était des sortes de témoignage. C’est ce que j’aime dans la photographie.
En fait, mon travail est plutôt une démarche documentaire. J’aime cette substance de la photographie. Comme les photos instantanées et les photos de famille que l’on trouve dans les albums. Plutôt que leur esthétisme, j’aime les moments de vie qu’elles contiennent. J’aime les histoires. C’est peut-être pour cette raison que je veux faire des films.
Quel genre de film aimez-vous ?
Dernièrement, j’ai regardé le film « Born to sing » produit par LEE Kyung-kyu. C’est un film de divertissement. L’histoire est assez simple et contient quelque chose d’émouvant. Je ne sais pas si ça suffit en général, mais dans le cas de ce film, c’était suffisant. C’est ce à quoi je réfléchis en ce moment. Si un film comporte quelque chose qui réussit à toucher le spectateur, ça suffit.
Vous avez réalisé la série « Project » aux Etats-Unis. Pouvez-vous nous parler de cette période ?
Je suis allée à New York en 1994 pour étudier la photographie de mode. Au départ, je pensais pouvoir gagner ma vie en travaillant dans ce milieu. Je ne pensais pas du tout réaliser un projet artistique. J’ai commencé la série « Project » dans le cadre de mon diplôme de fin d’études. Je devais faire un projet personnel. Je n’avais pas vraiment d’idée précise, alors j’ai commencé à travailler sur mon expérience personnelle, mes émotions et mes sensations.
Chacun de nous a une personnalité unique et distincte. Trouver deux caractères opposés chez une même personne est très rare. Pourtant je sentais que j’avais en moi différentes personnalités. Par exemple, je peux aussi bien sortir avec un hipster de Hongdae qu’avec un homme qui fréquente les boîtes du quartier Cheongdam-dong. Au début du projet, j’ai commencé avec cette question « comment puis-je avoir autant d’identités ? ». Je voulais parler de cela dans mon travail. Les gens ont tendance à se regrouper selon leur personnalité. Mais moi, je me sentais à la fois proche de tous les groupes et en même temps n’appartenant à aucun. Je voulais travailler sur cette idée.
Les photos de la série « Project » sont-elles mises en scènes ?
Non, il n’y avait pas de cadrage, ni de composition. A chaque fois, je demandais à des personnes du groupe ou à des passants de prendre la photo. Je voulais que les photos soient instantanées, sans mise en scène. J’aime les photos dans les albums de famille. Les choses ennuyantes sont belles pour moi. J’essaye toujours de m’éloigner de l’esthétisme.
Considérez-vous l’ensemble du processus d’immersion comme une partie du projet ?
Non. Je ne voulais montrer que le résultat. La sensation pendant le moment où vous regardez la photo. Le processus a un sens pour moi mais je ne veux pas forcément le partager dans mon travail. Aux États-Unis, on m’a proposé plusieurs fois de publier des livres présentant tout le processus d’identification etc. Mais j’ai toujours refusé. Dévoiler toutes les étapes n’est pas dans mon caractère. Je voulais juste montrer le résultat final.
Comment s’est passée votre enfance ?
J’ai grandi dans une famille ordinaire. J’ai habité à Séoul jusqu’à l’âge de 10 ans puis j’ai déménagé à la campagne où j’ai passé toute mon adolescence. J’en garde de bons souvenirs. Juste regarder la nature. Ca m’a permis de découvrir et de comprendre plusieurs styles de vie différents. Le monde rural est très différent de celui de la ville. Ce monde est très direct, et brutal tandis qu’à la ville, les comportements sont plus artificiels et maniérés.
Connaître ce changement de vie à l’adolescence est très enrichissant. Généralement, on ne le vit qu’à travers les livres.
Comment a commencé le projet ‘PART’ ?
Je sortais avec mon copain de l’époque et notre relation était compliquée. J’ai commencé à me demander pourquoi je suis à l’aise avec certaines personnes tandis qu’avec d’autres je me mets toujours en colère. En fait quand on est en couple, les problèmes ne viennent jamais uniquement du conjoint ou de la conjointe, mais des deux. Je voulais faire un projet qui montre les changements d’identité selon les partenaires. Dans la série Project, je pose la question ‘Qui est Nikki ?’. Mais dans le projet ‘Part’, la question est ‘qui est cet homme absent de la photo ?’. Naturellement on regarde la femme qui est avec lui. Et en la regardant, on essaye de reconstituer l’homme. Le projet a duré 1 an. Il y avait plus de mise en scène que dans la série Project.
Pouvez-vous nous parler de la série ‘Layers’ ?
J’ai commencé par curiosité. Dans la plupart des pays on trouve des personnes qui dessinent les portraits des gens dans la rue. Alors je me suis demandé si mon visage dessiné à Paris et en Espagne était le même? Je voulais savoir comment la culture d’un pays influençait l’apparence de mon visage. A Londres, je ressemble à une femme anglaise. En Turquie, je ressemble à une femme Turque. À New York, c’est plutôt un état de tension qui se dégage de mon visage. Chaque dessin révèle le caractère de la ville dans laquelle je suis.
The lesbian project
The schoolgirl project
The yuppie project
Layers – Rome
Layers – Los Angeles
Pourquoi avez-vous superposé les visages ?
Pour montrer les différentes personnalités qui habitent une personne. Par exemple, certaines personnes qui paraissent très sociales, sont en fait très timides. On doit traverser beaucoup de couches pour voir le vrai caractère des gens. C’est pour cette raison que j’ai fait ce travail de superposition.
Quel est votre regard sur Seoul ?
J’ai beaucoup d’affection pour Séoul. Il y a quelques jours, j’ai parlé avec un ami réalisateur de films. On aimerait bien faire un film improvisé, sans scénario, une sorte de voyage nocturne dans les différents quartiers de Séoul. Cheongdam-dong, Hongdae, Itaewon, ils sont tous différents. Ce serait bien de faire un film tout simple qui dure environ 1h 30 et qui montre Séoul avec affection. Après avoir passé la matinée dans le quartier Cheonho-dong, je peux venir à Sangsu pour faire un interview comme aujourd’hui. Je pense que c’est ce qui est beau à Séoul.
Parts
Dans la série « Part » (2002-2005), Nikki Lee se met en scène dans des photographies instantanées en compagnie d’une autre personne – que l’on devine être son conjoint – mais que l’on ne voit jamais car coupé sur la photo. L’attitude de Nikki Lee sur les photos, ainsi que son apparence qui change selon le partenaire, nous pousse à nous interroger sur la relation de couple et la manière dont elle influence l’identité des personnes.