À contre-courant de la société confucianiste et très patriarcale de la Corée du Sud qui a longtemps conféré aux femmes un statut inférieur à celui des hommes, la province de Jeju-do a vu se développer sur ses terres volcaniques une communauté de pêcheurs basée sur une structure sociale de type matriarcale.
Située à 85km au sud de la péninsule coréenne, l’île de Jeju est née de l’éruption du volcan Hallasan, aujourd’hui éteint. Sa situation insulaire et son climat subtropical en font aujourd’hui une destination de vacances prisée par les Coréens, les Japonais et les Chinois.
Les Haenyos, les femmes de la mer
Avant que le tourisme devienne l’économie dominante de l’île, Jéju-Do a longtemps vécu grâce aux fruits de la pêche, principale source de revenu des familles, que les femmes, exclusivement, allaient cueillir dans les profondeurs sous-marines en plongeant en apnée 6 heures par jour sans équipement ni combinaison spécifique. L’essentiel des récoltes était constitué d’ormeaux, de poulpes, d’oursins et d’huîtres. Expérimentées, les plongeuses étaient – et sont – capables de rester 2 minutes en apnée et de descendre jusqu’à 15 m de profondeur.
À Jeju Do, la pêche est devenue, à partir du 19e siècle, une activité essentiellement féminine pour 2 raisons principales. La première, d’ordre économique, est que les pécheurs hommes ont été lourdement taxés, rendant leur travail peu rentable, ce qui n’était pas le cas pour les femmes. La seconde raison est physiologique. En effet, grâce à leur surplus naturel de graisse dans le corps, les femmes supportent mieux la pression de l’eau et le froid de la mer qui peut chuter jusqu’à 8 ° c en hiver.
C’est pourquoi les femmes se sont attelées à cette tâche particulièrement pénible et dangereuse.
La dépendance de l’île à la pêche a conféré aux femmes le statut important de chef de famille, reléguant les hommes à des rôles ménagers.
Ainsi, pendant plus d’un siècle, chaque femme née dans un village de pêcheurs se destinait à devenir plongeuse. Elles apprenaient à nager vers 7-8 ans puis devenaient Haenyeo à 15-16 ans.
En 1950, on comptait environ 30 000 Haenyos à Jéju-Do.
Si l’ouverture du marché des produits de la pêche vers le Japon à la fin des années 1970 a été une période prospère pour les Haenyos, elle a également marqué le début du déclin de leur activité. Plutôt que de former leurs filles à la plongée, les Haenyos commencent à les envoyer étudier à l’école où elles apprennent des métiers différents et moins durs que celui de leur mère. C’est à cette époque que commence à se développer l’industrie du tourisme qui offre de nouvelles opportunités professionnelles aux jeunes de l’Île.
Aujourd’hui, on dénombre à Jéju-Do 5 000 femmes plongeuses, dont 85 % ont plus de 60 ans. En voie de disparition, les Haenyos sont devenus un objet de fierté de l’île. Le 1er décembre 2016, leur activité est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco.
Les Haenyeo par le photographe Hyung S. Kim
Fasciné par la vie et l’histoire des Haenyeos, le photographe Hyung S. Kim décide de consacrer quelques années de sa vie à capturer la beauté de ces femmes aujourd’hui grand-mères mais toujours en activité. Il les photographie individuellement devant un fond blanc, mais plutôt que de les faire poser, il les capture juste après leur journée de travail. Elles apparaissent épuisées, essoufflées, le visage ridé et tacheté encore marqué par l’effort. Plus que n’importe quel documentaire, les images de Hyun S. Kim nous montrent la pénibilité et la dureté du travail des Haenyos.
Les détails de leurs visages, de leurs combinaisons de plongée et des outils qu’elles portent racontent leurs histoires, leurs identités, leur vie et leur travail.
Interview
Comment est née la série Haenyeo ?
Il y a six ans, en 2011, j’ai rencontré des Haenyos sur l’île de Jeju. Elles étaient très différentes de l’image que j’en avais. Elles m’ont tout de suite captivé. J’ai voulu leur rendre hommage à travers mon travail.
Pouvez-vous nous parler du déroulement du projet ?
J’habite à Séoul et Jeju est loin. J’ai donc vécu sur l’île pendant un an pour monter ce projet et éviter les allers-retours.
Sur place, j’ai dû faire face à quelques difficultés. À cause de la météo changeante de l’île, je ne pouvais pas anticiper les jours de plongée (10-15 jours par mois). De plus, les Haenyos se mettent de plus en plus à l’écart à cause des touristes, c’était donc compliqué de les convaincre de venir se faire photographier devant le tissu blanc. J’avais installé mon matériel juste au bord de la mer. Il y avait beaucoup de vent, il faisait froid et les plongeuses étaient épuisées après leur journée de travail. La plupart des photos ont été prises pendant l’hiver.
Les Haenyos pèchent encore en apnée. Elles passent leur journée à descendre dans les profondeurs sous-marines et à remonter à la surface. C’est un travail extrêmement pénible et très dur qu’elles exercent depuis leur enfance. La plupart ont des problèmes de santé, des troubles auditifs, des douleurs articulaires si bien que toutes sont sous analgésiques. Chaque plongée est un combat. On dit que quand elles sont sous l’eau en apnée, elles se tiennent sur le fil ténu qui sépare la vie et la mort. Le regard qu’elle pose sur le monde après une longue séance de plongée est quelque chose que je n’ai vu nulle part ailleurs.
C’est ce genre de détail que je voulais capturer chez les Haenyo.
Pourquoi les avez-vous photographiés devant un tissu blanc ?
Quand j’ai vu les Haenyo après leur journée de travail, j’ai été très touché par leur apparence. Elles étaient épuisées, mais pourtant, elles dégageaient une grande force, une sorte de majesté.
C’est ce que j’ai voulu montrer. Je m’intéresse moins à leur activité qu’à elles en tant que personne et sujet. Donc pour me concentrer sur le portrait de ces femmes, j’ai décidé d’exclure le paysage, l’environnement. Je voulais un fond neutre donc j’ai tendu un tissu blanc.
Pour moi, c’était important de les photographier juste après leur travail, car c’est à ce moment qu’elles sont le plus authentiques.
Quel regard portez-vous sur Séoul ?
Séoul est la ville où je suis née et où j’ai grandi. C’est une ville qui change rapidement et qui oublie facilement. Je voudrais pouvoir garder des traces du passé dans cette ville. J’aime bien le quartier Ankuk où l’on peut encore voir ce passé dans les petites ruelles.