Lorsque la guerre de Corée se termine en juillet 1953 Séoul est proche du champ de ruine. La capitale traumatisée devient pourtant en quelques décennies une actrice mondialement influente. L’industrialisation, fruit notamment d’un système capitaliste injecté par les Etats-Unis, démarre dès les années 60 et donne naissance aux éléments d’un tissu urbain encore présent aujourd’hui. Symbole d’une fierté compréhensible de réussite sociale, le véhicule individuel devient le point central du rétablissement de Séoul. L’état d’esprit tout-voiture fait alors ériger, au service du bolide, des géants de béton en nombre cisaillant les paysages du pays.
Le pont autoroutier chevauchant les rails de la gare de Séoul est le premier exemple du paradigme de l’époque. En effet, cette portion de la ligne construite dans les années 70 et ayant pour but de joindre le marché traditionnel Namdaemun à l’Est, la gare au centre et les différents parcs à l’Ouest s’impose au cœur de la capitale sur plus de 9000 m2.
En 2006 la section de bitume soulevé est usée et se voit progressivement interdire les véhicules lourds ayant à l’esprit son remplacement dans les années à venir. Le choix de la reconstruction est pourtant abandonné en 2015 au profit du lancement d’un concours d’architecture visant à réhabiliter l’infrastructure en promenade publique pour un budget de 32.8 milliards de Wons (environ 26 millions d’euros).
Seoul Station 7017
Un concours public d’idées est d’abord lancé, différentes réunions d’informations aux habitants sont proposées et une visite officielle par le maire de Séoul Park Won-soon de la High line réaménagée à New York est organisé. Le concours international est ensuite lancé de Janvier à Mai 2015 : Seoul Station 7017.
L’autoroute est présentée comme un élément historique de la ville, un héritage de la modernisation coréenne fulgurante. L’impact symbolique d’un tel concours est sans précédant dans une ville où l’attention portée au lieu et à son histoire a peu souvent eu sa place depuis la reconstruction. Il s’agirait d’un signe montrant Séoul dans une nouvelle phase de son évolution. Même si la volonté de préservation nait peut-être d’un besoin d’économie de moyen, nombre de propositions sont en effet clairement engagées dans un travail de mémoire du lieu.
On fait appel à 7 agences différentes, il ne s’agit donc pas d’un concours ouvert. Trois équipes sont coréennes : l’agence Mass studies, CA landscapeDesign Co. Ltd et Ubac/johsungyoung architect office ; trois sont européennes : Topotek 1, MVRDV et Estudio Herreros ; puis l’Atelier FCJZ, une équipe chinoise. Le jury est quand-à lui composé de 6 membres : l’architecte de la ville de Séoul ,Seung H-Sang, trois professeurs d’universités Zoh Kyungjin , Ohn Yeong-te et Song In-ho puis Vicente Guallart et Dominique Perrault, ayant tout deux construit des projets conséquents à Séoul. Le jury délibère et diffuse les résultats en mai 2015.
La troisième place du concours est attribuée à Cho Minsuk, fondateur de Mass Studies. Sans doute l’une des agences coréenne les plus actives ces dernières années, on lui attribue entre autres le pavillon coréen de la biennale de Venise 2014 et plusieurs projets remarquables comme la galerie Xi à Busan ou la magasin Ann Demeulemeester entièrement habillé de végétal à Séoul. A l’image des travaux des agences OMA ou BIG les projets sont souvent accompagnés d’un argumentaire travaillé de manière à être abordable. De simples diagrammes viennent expliciter clairement des concepts forts.
Continuous Landmark-unified hyper collage city
par Mass Studies (3ème prix)
Dans la même logique l’agence propose un design pour le renouveau de l’autoroute conduite par une démonstration très efficace. Le projet est divisé en segments détaillés les uns après les autres. En effet, chaque division du pont est traitée différemment donnant une unité par la diversité d’où le nom « collage ». Pourrait-on y voir un hommage à l’ouvrage Collage City de Colin Row ? Il s’agirait sans-doute plus d’une référence aux artistes pop-art adeptes du collage et du photomontage tel que Richard Hamilton. Puisque le projet doit être travaillé avec l’existant, le renouveau pur n’est pas envisageable. L’agence se positionne donc dans le parti pris de l’addition.
Le projet a retenu l’attention des membres du jury par sa capacité à venir se connecter à d’autres éléments plus distants du site, une vision considérée plus large que les autres participants. Cependant, par l’accumulation on a estimé les modifications trop radicales perdant de vue l’essence du concours : préserver cet élément qu’est le pont.
Walkway for all
par Sung-yong JOH (2ème prix)
L’équipe Ubac/johsungyoung architect office se voit obtenir la deuxième place. Joh Sung-Young est notamment réputé pour le grand parc de l’île Seonyudo, excellent exemple d’une capitale mettant en place une relation nouvelle avec sa rivière (Han) et l’industrialisation du Pays.
Le travail de l’agence met nettement en avant l’histoire du site. Au delà de la seule préservation d’un témoignage industriel, la réhabilitation du pont est envisagé comme l’occasion de redessiner métaphoriquement le patrimoine urbain perdu. Il s’agit par exemple de symboliser une porte du mur d’enceinte aujourd’hui disparu. Dans la continuité de cette réflexion le rendu est brut, le pont n’est pas tellement modifié assumant un travail de mémoire clarifié. En plus de connecter les différents fragments du lieu par un exercice de topographie artificielle on met en avant des programmes sociaux dessinant des pavillons qui accueilleraient toutes sortes d’événements culturels. Finalement, à l’inverse de la proposition de Mass Studies, celle-ci est jugée trop passive par le jury. On reconnaît de nombreuses qualités dans l’envie de respecter la mémoire du site et d’intervenir de façon minimale sur la superstructure proposant ainsi un coût mesuré mais le design ne leur semble pas assez spécifique manquant donc d’identité.
The Seoul Arboretum
par MVRDV (projet sélectionné)
En définitive on attribue la première place à l’agence Néerlandaise MVRDV. L’équipe propose d’habiller la structure industrielle de 254 espèces d’arbres, fleurs et arbustes. Au delà d’un paysagisme trop souvent démagogique, le projet met en avant des végétaux locaux dont les habitants peuvent être fiers. On peut attribuer trois visages à la proposition, une facette écologique, une pédagogique et une génératrice. L’identité écologique aisément observable est accompagnée d’une dimension éducative, le jardin est une bibliothèque où les plantes sont classées et détaillées selon l’alphabet coréen. Enfin par le design d’un centre de soin pour les plantes rares l’agence installe un point générateur d’espaces verts à l’échelle de la ville.
« Les habitants pourront prendre un selfie devant leur plante locale favorite tout en connaissant son nom. » (extrait du texte du panneau de concours de l’équipe MVRDV)
D’autres générateurs viennent s’installer dans le projet tel un café, des magasins de fleurs, des marchés de rue, des bibliothèques ou des serres. Le maire annonce la fin des travaux d’ici 2017.
La volonté de préservation d’un élément historique démontre le changement d’état d’esprit vis à vis du projet d’architecture et du rapport que Séoul veut entretenir avec son histoire. Même si la mise en place d’un tel concours est indéniablement audacieuse on pourrait regretter un choix n’assumant que partiellement son rapport à la mémoire. Par exemple, les arguments pour la mise à l’écart de la proposition de Ubac/johsungyoung architect office semblent mettre en avant une capitale n’étant peut-être pas encore prête pour une véritable introspection.
Article écrit par Alexis Léger